RIP PROSPECTUS !
2025/04/02
Depuis quelques années, on commence à souffler un peu en ouvrant nos boîtes aux lettres car on y trouve de moins en moins de prospectus publicitaires qu’on ne lit presque jamais et qu’on jette directement à la poubelle !
Cette tendance à la baisse n’est pas un hasard ! plusieurs grandes enseignes, comme Carrefour, Intermarché ou encore Casino, ont choisi de stopper totalement la distribution de leurs catalogues papier. Et franchement, vu le volume que ça représentait, ça peut sembler être une excellente nouvelle pour l’écologie. Pour donner une idée très concrète de ce que ça signifie, en France, on distribuait chaque année environ 18 milliards de prospectus, soit à peu près 30 kg par foyer. Leur production impliquait l’abattage d’environ 21 millions d’arbres (souvent replantés) par an, auxquels il faut ajouter toute la chaîne logistique : l’énergie nécessaire pour les imprimer, les encrer, les transporter, puis finalement les distribuer. Bref, un coût écologique faramineux pour une efficacité commerciale souvent discutable.
Chaque année environ 18 milliards de prospectus, soit à peu près 30 kg par foyer
Alors évidemment, quand on voit ces enseignes migrer vers le tout-digital, on a envie de dire bingo ! Les mails remplacent le papier, les notifications push prennent la place des flyers, et même les vidéos interactives viennent nous parler de promos de manière plus fun et ciblée. Mais très vite, quand on creuse un peu la question, on s’aperçoit que cette transition numérique, bien qu’elle paraisse plus propre à première vue, a elle aussi un coût environnemental, souvent insidieux, invisible… et pourtant bien réel. Chaque mail envoyé, même le plus simple, sans pièce jointe, sans image, génère environ 4 grammes de CO₂. Ce chiffre grimpe vite à 50 grammes si on y ajoute des pièces jointes lourdes, des visuels ou même une signature un peu trop travaillée avec un logo en haute définition. En soi, ça peut paraître dérisoire. Mais quand on sait que dans le monde, plus de 300 milliards d’emails sont envoyés chaque jour, on comprend vite que l’addition est loin d’être négligeable. Et encore, là on ne parle que des mails !
Ce qui est en train de bouleverser les choses, et de faire grimper la facture énergétique du numérique en flèche, c’est l’arrivée massive de contenus visuels générés par l’intelligence artificielle. On le voit dans les newsletters, dans les posts sponsorisés sur les réseaux sociaux, dans les bannières animées et même dans les avatars de service client. Les IA créatives sont partout…Et elles demandent beaucoup, vraiment beaucoup, de ressources pour fonctionner. D’après plusieurs estimations, générer une seule image avec une IA comme Midjourney, DALL·E ou Stable Diffusion peut consommer autant d’énergie que de recharger entièrement son smartphone. Encore une fois, pris individuellement, ça ne semble pas dramatique. Mais dans le cadre d’une campagne nationale ou internationale, où l’on produit des centaines, voire des milliers de visuels différents pour personnaliser les contenus à l’extrême, cela peut rapidement devenir un gouffre énergétique. D’autant plus que ces images sont souvent hébergées sur des serveurs énergivores, accessibles en permanence, dupliquées, consultées, puis stockées à nouveau pour les campagnes futures.
Générer une seule image avec une IA … peut consommer autant d’énergie que de recharger entièrement son smartphone.
Et ce n’est que la partie émergée de l’iceberg… car derrière chaque e-mail, chaque image, chaque vidéo ou animation IA se cache un data center, ces gigantesques infrastructures informatiques qui tournent 24h/24 pour stocker, faire transiter et sécuriser toutes les données numériques que nous produisons et consommons chaque jour. Ces centres consomment une quantité d’énergie vertigineuse, principalement pour faire tourner les serveurs et surtout pour les refroidir, souvent à grands renforts de climatisation industrielle. Aujourd’hui, on estime que le numérique représente environ 4 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre, un chiffre qui pourrait grimper à 8 % d’ici 2025 si la tendance actuelle se poursuit sans encadrement clair. Autrement dit, le numérique pollue, parfois autant voire plus que certains secteurs industriels que l’on pointe plus facilement du doigt.
Alors oui, on peut dire que la fin des prospectus est une bonne nouvelle, surtout pour nos forêts et pour les déchets qu’on retrouve dans les bacs jaunes déjà débordants. Mais il serait naïf de penser que la solution est de tout miser sur le digital sans se poser de questions. En fait, l’enjeu aujourd’hui, ce n’est pas de choisir entre le papier et le numérique, c’est de repenser nos usages avec intelligence. Ça veut dire limiter le nombre de mails envoyés, éviter les doublons inutiles dans les bases de données, ne pas surcharger les messages de pièces jointes ou d’images superflues. Ça veut dire aussi former les équipes à la sobriété numérique, intégrer les enjeux écologiques dans les stratégies marketing, et se poser la question de la pertinence de chaque contenu avant de le produire.
Parce qu’au fond, un message bien pensé, bien ciblé, sobre mais pertinent, aura toujours plus d’impact, car il y a quelque chose de rassurant à se dire qu’on peut faire du marketing autrement, de façon plus responsable, et donc peut-être même plus efficace. Le progrès ne réside pas dans la fuite en avant technologique, mais dans notre capacité à l’utiliser avec conscience. Et là-dessus, c’est aussi une question de génération : les plus jeunes, souvent très sensibilisés aux enjeux climatiques (et encore pas chez les alphas :)), attendent des marques qu’elles fassent plus que du greenwashing. Ils veulent de l’authenticité, de la sobriété, et une vraie prise de position…bref du VRAI ! Tandis que les générations plus âgées, qui ont vu naître l’ère du papier puis celle du numérique, commencent elles aussi à questionner cette accumulation de contenus et cette saturation permanente. Finalement, c’est peut-être dans cette rencontre entre générations, entre mémoire du papier et conscience numérique, qu’on trouvera un équilibre durable, à la fois respectueux de l’environnement et réellement connecté aux attentes de chacun…
Publié le 02/04/2025
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