Brain rot !
2024/12/05
Brain rot !
Le mot “brain rot”, désigné comme mot de l’année 2024 par l’Oxford Dictionary au Royaume-Uni, résume avec une acuité presque dérangeante une réalité que beaucoup d’entre nous ressentent : une lente mais certaine érosion de nos facultés mentales face à l’avalanche de contenus numériques. Mais pourquoi ce terme, à la fois ironique et brutal, a-t-il capturé l’esprit de notre époque ? Et qu’est-ce qu’il dit vraiment de nous et de nos habitudes… connectées ?
Quand on parle de “brain rot” littéralement, “pourriture cérébrale” l’image est forte, presque viscérale. Ce n’est pas simplement une exagération…car le mot traduit un phénomène bien réel où l’on se sent comme englué dans un état de torpeur intellectuelle, provoqué par une surconsommation de vidéos courtes, de mèmes et de contenus viraux souvent dépourvus de profondeur. Tout le monde connaît cette sensation étrange : le cerveau saturé après des heures à scroller, où le temps semble avoir filé sans laisser de trace tangible, si ce n’est une fatigue mentale diffuse et un léger sentiment de vide. C’est ça, “brain rot” : une addiction insidieuse aux stimuli constants qui nous divertissent tout en nous laissant désorientés.
Le terme a explosé dans le langage courant, notamment chez les jeunes des Générations Z et Alpha. Ces générations, nées avec un smartphone à portée de main, maîtrisent parfaitement les codes des réseaux sociaux, mais commencent aussi à en subir les effets cognitifs. Ironiquement, “brain rot” est souvent utilisé par ces mêmes jeunes pour rire de leur propre relation avec le numérique, comme un cri du cœur mi-ludique, mi-désabusé. Et ce n’est pas qu’une question de sensation : les études scientifiques s’accordent de plus en plus à montrer que la consommation effrénée de contenus fragmentés altère notre capacité de concentration et notre mémoire.
L’élection de “brain rot” comme mot de l’année reflète une prise de conscience collective. Casper Grathwohl, président d’Oxford Languages, a souligné que ce terme incarne une réflexion sur l’impact psychologique des technologies sur nos vies. Loin d’être un simple buzzword, il pointe un malaise générationnel profond, une sorte de mal du siècle numérique. Les données parlent d’elles-mêmes : l’utilisation de ce terme a grimpé de 230 % en deux ans, témoignant d’un besoin grandissant de mettre des mots sur cette expérience commune.
Ce choix s’inscrit dans une tradition d’Oxford de sélectionner des mots qui capturent les grandes transformations sociétales. Avant “brain rot”, des termes comme “selfie” ou “climate emergency” avaient marqué leur époque, traduisant à chaque fois les enjeux globaux dominants. Ce qui est frappant avec “brain rot”, cependant, c’est qu’il s’attaque directement à notre rapport quotidien au monde numérique, à ce qui façonne désormais nos vies minute après minute.
En parallèle, le Macquarie Dictionary australien a choisi “enshittification” comme mot de l’année 2024, un terme qui décrit la dégradation progressive des plateformes en ligne lorsqu’elles privilégient exclusivement le profit au détriment de l’expérience utilisateur. Là où “brain rot” cible l’impact personnel du numérique, “enshittification” s’intéresse à ses défaillances structurelles. Ensemble, ces deux mots dressent un portrait sans concession d’un monde numérique où individus et systèmes semblent pris dans une spirale de surenchère et de dégradation.
Ce qui rend “brain rot” encore plus fascinant, c’est son histoire., ce n’est pas un concept nouveau, car en 1854 déjà, Henry David Thoreau utilisait cette expression dans “Walden” pour critiquer l’incapacité de son époque à valoriser les idées profondes et complexes. Aujourd’hui, le contexte a changé, mais la critique reste d’actualité. Ce parallèle historique montre que la lutte contre la superficialité intellectuelle est un combat ancien, simplement réinterprété à l’ère des écrans et de la dopamine digitale.
Au-delà d’un simple mot de l’année, “brain rot” est un signal/un appel à ralentir, à prendre conscience de la manière dont nous consommons le numérique et à chercher des moyens de réinvestir notre énergie mentale dans des activités plus riches et plus épanouissantes. Ce n’est pas qu’un mot : c’est une prise de conscience collective qui pourrait, si elle est bien orientée, amorcer un changement culturel vers une consommation plus consciente et équilibrée.Le véritable défi, en 2024 et au-delà, sera de transformer ce cri du cœur générationnel en action… vivement le mot 2025 !
Publié le 05/12/2024
- Époque